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La truffe noire (tuber melanosporum) de Soria, Espagne

Truffes noires de Soria

Truffes noires de Soria

Je reviens juste de quelques jours passés à Soria dans la région de Castille et León en Espagne pour découvrir les truffes noires locales, des tuber melanosporum. Ce sont les meilleures, les mêmes que celles que l’on trouve en France.

Saviez-vous que l’Espagne en était le premier producteur mondial ?   

On en récolte 3 fois plus qu’en Italie et quatre fois plus qu’en France (source). Il faut dire qu’en Espagne 20 000 hectares de chênes truffiers ont été plantés, depuis une trentaine d’années, grâce aux aides européennes.

La truffe d’aujourd’hui n’est quasiment plus récoltée de façon sauvage (surtout dans les mauvaises années). On la cave dans des plantations de chênes truffiers

A la rencontre de Philippe Barrière

J’ai eu la chance de rencontrer Philippe Barrière à Soria. Cet ancien rugbyman originaire de Carcassonne est arrivé à la truffe par hasard. Au fil des années, il est devenu un expert reconnu du diamant noir et est régulièrement invité, comme ici, pour juger et contrôler la qualité des truffes.

C’est grâce à son nez, à son oeil expert, au toucher des champignons, qu’il détecte les Tuber uncinatum et les Tuber mesentericum, qu’il écarte les truffes boisées, gelées ou encore celles piquées par les liodes (un insecte pondant ses oeufs dans les truffes et dont la larve s’en nourrit). C’est lui qui m’a raconté l’histoire de la truffe. 

A propos de la truffe

Les Romains, me dit-il, connaissaient déjà les truffes 200 ans avant Jesus-Christ mais ils ne la consommaient pas.  Les premiers à la manger furent les serfs, au Moyen-âge. Ces derniers n’ayant pas le droit de chasse mais de cueillette sur les terres de leurs seigneurs, n’avaient pas grand chose à ramasser l’hiver. Pour ne pas mourir de faim, ils grattaient la terre et consommaient racines… et truffes

Tout change en France grâce à François Ier. En 1525, le roi perd la bataille de Pavie face à Charles Quint. Fait prisonnier, il est détenu en Espagne. La légende raconte que les prisonniers étaient à l’époque nourris comme les cochons,…,  avec des truffes 😀 .  Quand il sort des geôles espagnoles et rentre en France, il impose ce champignon à la table des rois de France et lui donne ses lettres de noblesse. 

Ensuite, poursuit Philippe, la truffe va connaître son apogée au niveau mondial grâce à l’invention de la conserve (début XIXè siècle). On peut dire que c’est une hérésie car la truffe ne se cuit pas (elle perd tout son parfum) mais cela lui a permis de voyager et d’être intégrée dans différentes préparations culinaires.

A cette époque-là sur les marchés de Carpentras, Lalbenque et Richerenches, entre 1500 et 2000 tonnes de truffes étaient écoulées chaque année.

Le déclin

Et puis petit à petit, à partir des années 1900, c’est le déclin. Il y a les 2 guerres mondiales, l’exode rural, l’évolution de la société qui fait que les forêts sont moins bien entretenues (on ne se chauffe plus au bois). La végétation reprend ses droits, devient plus exubérante et la truffe, qui met 9 mois à pousser, ne va plus avoir les conditions optimales à sa croissance. 

Aujourd’hui, on n’en récolte plus chez nous qu’entre 20 et 50 tonnes par an.

Les plantations des chênes truffiers.

Vu la diminution drastique du nombre de truffes, l‘INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) met au point dans les années 70 le plant mycorhizé.  Il s’agit d’arbres (chênes) dont les racines ont été ensemencées de spores de truffes. 

Comment cela fonctionne-t-il ? 

Encore une fois, merci Philippe pour les explications.

Les glands, m’explique-t-il, sont semés dans un terreau préalablement passé à la vapeur (pour tuer les éventuels autres champignons qu’il pourrait contenir).  Ils germent puis, quand les plantules atteignent 5 à 10 cm de haut, elles sont déracinées. Leurs jeunes racines sont alors trempées dans une préparation à base de spores de truffes, de sucre, d’eau …..).On dit qu’on « praline les racines » de l’arbre. Cela sert à fixer les filaments de truffes. 

Une fois cette opération effectuée, les plants sont rempotés dans un terreau, lui aussi préalablement stérilisé. Au bout d’un an, les premiers contrôles sont effectuée pour vérifier si cela a bien fonctionné. Une fois ce check up effectué, les plants sont étiquetés (traçabilité) puis remis au pépiniériste qui les commercialisera. 

Les arbres seront ensuite plantés dans leur milieu définitif. Il faudra attendre 8 à 10 ans pour récolter les premières truffes. Mais malgré tout le soin apporté, la truffe reste un champignon sauvage et sa présence et son nombre dépendent des interactions avec la nature. Ce n’est pas magique 😀 .

Et le goût ?

La truffe noire melanosporum, qu’elle ait poussé sur un chêne vert préalablement mycorhizé ou qu’elle soit née spontanément a exactement le même goût m’assure Philippe. De plus, qu’elle soit collectée en Espagne ou en France, sa saveur est identique. Il n’y a pas de notion de terroir. Ce qui importe c’est l’espèce (tuber melanosporum) et la qualité (récoltée au bon moment, sans défaut etc.). 

Cocinando con trufa

Cocinando con trufa (cuisiner avec la truffe) est un concours de cuisine se déroulant à Soria et auquel j’ai pu assister. Le but est de valoriser la truffe. 8 chefs internationaux en binômes avec 8 chefs locaux ont ainsi exercé leur créativité et proposé leurs réalisations.

Cocinando con Trufa 2024

Cocinando con Trufa 2024 – Les participants

Ruben Arnanz a remporté la compétition avec son plat intitulé « Balade en forêt » où il a mis à l’honneur 3 ingrédients locaux : la truffe, le porc ibérique et les glands. Seul le jury a dégusté alors je ne peux vous en dire plus 😀 . 

En tout cas, pendant que les chefs travaillaient, nous avons pu déguster des truffes et appréhender un peu ses qualités et ses défauts. Très intéressant. 

Pour aller plus loin : www.cocinandocontrufa.com

Invitation – Voyage de presse