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Interview de Carlo Petrini, fondateur de slow food « Devenons des consommateurs conscients »

Il y a quelques jours, je ne sais pas si vous vous souvenez, j’étais à Milan pour la sortie du  calendrier Lavazza mettant à l’honneur des chefs emblématiques, tels Ferran Adria, Michel Bras ou encore Carlo Cracco. Quelle est leur philosophie, d’où vient leur inspiration, c’est cela que Lavazza a voulu montrer grâce aux superbes photos de Martin Shoeller. Vous pouvez les visualiser si cela vous intéresse sur ce billet : Calendrier Lavazza.

A la conférence de presse était  présent Carlo Petrini, le fondateur du mouvement slow food qui travaille sur plusieurs projets en collaboration avec l’entreprise italienne  (voir plus bas). Son intervention était passionnante ! J’ai pu lui poser quelques questions, un immense merci à Lavazza, à Emilie et Charlotte (les gentilles organisatrices) pour avoir permis cette fantastique expérience.

Quand vous avez créé Slow Food en 1989, avez-vous eu le sentiment que cette création allait changer votre vie (et la nôtre) ? 

La fondation de Slow Food en tant que mouvement international en Italie a été précédée par la création de l’association Arci Gola, apparue lorsque les fast-foods ont commencé à se développer en Italie. Ce modèle culturel, imposé par une entreprise mondiale, qui prétendait imposer les mêmes recettes et les mêmes ingrédients aux quatre coins de la planète, ne nous convenait pas.

C’est donc en 1989 à Paris, à l’Opéra-Comique (un lieu qui n’a pas été choisi par hasard, car nous ne voulions pas trop nous prendre au sérieux) qu’a été fondé Slow Food. Un nom qui, il me semble, se pose clairement en opposition à ‘fast-food’, même si les Français ne paraissent pas le comprendre et qu’ils me demandent pourquoi nous avons choisi un nom anglais.

Quoi qu’il en soit, oui, je pensais que Slow Food allait changer la vie de beaucoup de mes concitoyens et que nous allions être présents dans le monde entier. La nourriture est un sujet universel.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui (par rapport au moment où vous l’avez créé) ?

Slow Food est aujourd’hui présent dans 150 pays. Nous travaillons avec les Nations Unies et avons un réseau international composé de volontaires, consommateurs, institutions, pêcheurs et agriculteurs qui partagent tous cette même envie de changer et d’améliorer le monde à travers le système alimentaire. Un réel succès qui me procure de grandes satisfactions.

Quels sont les gestes simples à faire au quotidien pour avoir la slow food attitude

Ce que chacun de nous peut faire chaque jour, c’est réduire le gaspillage alimentaire, préférer les produits de petites entreprises agricoles et acheter local et de saison pour réduire l‘impact négatif sur l’environnement. S’informer et devenir des consommateurs conscients, qui achètent, par exemple, de la bonne viande locale auprès d’un producteur qui respecte le bien-être animal.

Devenir des consommateurs conscients (je préfère dire des coproducteurs) signifie apprendre à apprécier les produits traditionnels et éviter ceux qui portent atteinte à l’environnement. Le consommateur peut avoir une grande influence sur ce qu’offre un supermarché. Nous devons commencer à réclamer des étiquettes qui nous informent précisément sur ce que nous mangeons.

À quoi ressemblent vos journées ? 

Lors d’une journée classique, je vais me rendre dans mon bureau à l’université des Sciences gastronomiques de Pollenzo, écrire, répondre à des entretiens, participer à des événements ou à des réunions. Je voyage aussi beaucoup pour voir les représentants de notre réseau et pour promouvoir nos projets au niveau international.

Lorsqu’il me reste du temps, je poursuis l’écriture de mes livres. Je viens par exemple de publier en Italie mon dernier ouvrage intitulé « Cibo e libertà. Slow Food: storie di gastronomia per la liberazione » (Alimentation et liberté. Slow Food : histoires de gastronomie pour la libération).

De quoi êtes-vous le plus fier ?

D’avoir contribué à créer un réseau désormais autonome de cuisiniers, universitaires, simples passionnés, chercheurs, pêcheurs, agriculteurs, gourmets, communautés locales et autres qui respectent l’environnement par leurs choix culinaires et qui contribuent à changer le monde chaque jour à travers leurs décisions ou des projets et des activités locales et internationales.

Vous avez reçu le United Nations 2013 Champions of the Earth award (le titre de champion de la terre 2013 aux Nations Unies),  que représente cette récompense pour vous ?

C’est un immense honneur, pour moi, d’avoir reçu le prix « Champions of the Earth » des Nations Unies car il récompense le travail accompli par notre réseau Slow Food, dans son ensemble et au fil des ans. Il consacre notre engagement quotidien, pour un meilleur système alimentaire.

Cette distinction m’incite également à poursuivre ce chemin, même si cela n’est pas toujours facile, et à mener à bien avec courage des projets ambitieux afin de garantir l’accès à l’alimentation et la souveraineté alimentaire pour tous et dans le monde entier.

Que vous apporte un groupe comme Lavazza ? Pouvez-vous expliquer les liens entre Lavazza et Slow Food et les jeunes talents ? 

Notre université collabore avec Lavazza par l’intermédiaire de stages (que nous faisons faire à nos étudiants), afin que la jeune génération puisse s’inspirer de modèles entrepreneuriaux dans le domaine de la gastronomie pour leurs projets futurs. Nous collaborons également afin que les jeunes soient impliqués dans les processus de production et nous espérons voir de nombreux diplômés poursuivre dans ce domaine.

Qu’est-ce qui vous met en colère ? 

Tandis que dans notre monde d’opulence, nous gaspillons la nourriture et que tant de personnes sont obèses, dans les pays africains, les gens meurent de faim parce qu’ils n’ont pas accès à la nourriture. Je suis également très préoccupé par le land grabbing, cette main-mise sur les terres qui est une nouvelle forme de colonialisme : les États ou les grandes sociétés multinationales achètent de vastes étendues de terres agricoles, notamment en Afrique et, ce faisant, privent les paysans de leurs ressources.

Qu’est-ce qui vous émeut ?

Je suis particulièrement ému par les histoires de petits producteurs et populations locales qui s’efforcent de préserver leurs traditions culinaires, recettes et techniques de production et le font souvent au prix de grands sacrifices. Ces personnes sont admirables parce qu’elles défendent leur patrimoine culturel, qu’elles en sont conscientes et que, de fait, elles ne se disent pas vaincues. Pour honorer ces hommes et ces femmes et leur rendre une reconnaissance appropriée, tous les deux ans se tient à Turin le Salon du Goût et de la Terre (du 23 au 27 octobre 2014).

 Merci.

Des liens pour aller plus loin (il suffit de cliquer) :

Enjoy !