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Esterelle Payany – Les criminels passent à table

Estérelle est journaliste culinaire, elle a plusieurs livres de cuisine à son actif, et dans son dernier opus, Les criminels passent à table aux éditions Flammarion, elle nous propose les meilleures recettes des vrais méchants de la littérature, d’Agrippine à Dracula en passant par Fantomas ou Hannibal Lecter. J’ai beaucoup aimé ce livre tout à fait passionnant, un livre à lire et à manger.

Elle a accepté de répondre à une petite interview.

Estérelle, qu’est ce qui t’a donné l’idée de ce livre ?

L’idée m’est venue un soir après avoir lu un de ses livres préférés à mon fils, L’Ogre de Zeralda de Tomi Ungerer (réédité actuellement sous le titre ‘Le géant de Zéralda‘). On y voit une petite fille dompter un ogre à coup de bons petits plans et réussir par la qualité de sa cuisine à ramener tous les ogres des environs à des plats 100%sans petits enfants dedans. J’adore bien sûr ce livre qui m’a fait réfléchir sur la définition de l’ogre… et a planté la petite graine qui est ensuite devenue le livre grâce aux éditions Flammarion !

Comment as tu trouvé tous ces méchants ? Était-ce spontané ou bien as-tu effectué beaucoup de recherches ?

J’ai fait une sorte de casting, en échangeant avec mes éditrices. On voulait couvrir toutes les époques et des cultures différentes, car le méchant est universel. Bien sûr, des noms sont venus tout de suite : la sorcière des contes de fées, Hannibal Lecter. Plus que des ‘méchants’, le critère de sélection était le crime au sens juridique du terme : nous avons essayé que tous les champs soient couverts, du parricide (Brutus, Edward de Comment j’ai mangé mon père), à l’infanticide (Médée) en passant par les crimes de guerre (Ubu Roi), l’empoisonnement (Cathy Ames de ‘A l’Est d’Eden‘ de Steinbeck) ou tout simplement le vol (Arsène Lupin). D’ailleurs le souci est que parfois certains criminels ne sont pas les ‘affreux méchants’ que l’on imagine : Arsène Lupin reste un gentleman tout en étant un cambrioleur…

J’ai eu parfois l’embarras du choix, comme dans l’œuvre de Shakespeare : il y a de quoi écrire tout un livre sur ce principe avec uniquement ses personnages ! Je me suis limitée à deux qui me parlaient particulièrement, à savoir Iago et Lady Macbeth.

Et puis forcément il y a des auteurs qui me sont particulièrement chers, qui se devaient de figurer dans le livre, comme Georges Perec !

Il y a une quasi parité hommes femmes, est-ce voulu ?

Je suis touchée que tu l’aies remarqué ! Ce qui est frappant, c’est que la plupart des criminelles mythiques sont des empoisonneuses et/ou des victimes de l’amour, et qu’en creusant leur personnage on se rend compte que selon les époques, elles ont été accusées à tort. Impossible de ne pas penser à La Sorcière de Michelet en fait, et à la pomme d’Eve ! Toutes ces histoires nous renvoient toujours à la même. Les figures des criminels au masculin sont en fait plus variées, avec des mobiles criminels bien différents.

Comment as tu choisi l’extrait du livre qui accompagne la recette ?

En lisant ou en relisant le livre, pardi… Cela n’a pas toujours été simple : ainsi pour un grand auteur ultra-gourmand comme Alexandre Dumas, on mange extraordinairement peu dans ‘Les 3 mousquetaires’ ! J’ai choisi soit un passage ayant trait à la nourriture, soit un passage explicitant particulièrement bien le caractère du personnage, pour que la recette que je propose ensuite soit lisible par rapport à ce qu’il est.

Comment as tu fait pour choisir les recettes ? Peux tu nous expliquer un peu ta démarche ?

Parfois, l’idée du plat était dans le texte lui-même : quant on voit Ennemonde de Giono préparer une daube, la recette tombe sous le sens (et ça tombe bien, je suis provençale d’origine, donc ravie de proposer une bonne recette de daube !). Idem pour la Reine de Coeur d’Alice au Pays des Merveilles qui est accro à la tarte à la mélasse (treacle tart), ça tombait sous le sens.

Mais bien souvent, c’était compliqué, il fallait trouver des recettes évocatrices, soient par leur nom (ainsi le grand méchant loup ne pouvait-il que croquer des petits cochons, aussi ai-je choisi le nom anglais des feuilletés à la saucisse, ‘pigs in blankets’, soit ‘cochons sous l’édredon’ pour coller à l’histoire) soit par leur histoire. Pour Médée, il me fallait un plat que je puisse rattacher à la tradition de la Grèce et de l’Asie Mineure, qui évoque des rites sacrées… j’ai du me documenter sur la cuisine antique et sur la mythologie avant de découvrir le koliva, que l’on mange encore avant les cérémonies funéraires. Parfois, c’est parti juste d’un mot : dans Dr Jeckyll et Mr Hyde, la potion qui permet à Jeckyll de se changer en Hyde doit tout son pouvoir à un mystérieux ‘sel‘ qui revient sans cesse dans les notes de Jekyll… d’où une recette en croûte de sel !

Il y a une majorité de textes anciens, est-ce lié à une histoire de droits ou un choix personnel ?

Comme je te le disais, j’ai été libre du casting. En littérature contemporaine, j’avais l’embarras du choix… et avec le peu de recul que l’on a , comment définir qui est mythique ? C’est souvent plus l’archétype qui nous intéresse que le personnage incarné.

Pour te donner un exemple, j’avais pensé à Tiffauges du Roi des Aulnes de Michel Tournier, puis je l’ai mis de côté car il se rattachait pour moi au personnage de l’Ogre, il était une sorte d’ogre moderne, donc je voulais éviter une redite.

Le serial killer par exemple est un type de personnage qui apparaît assez tard en littérature (on avait bien au début Jean Baptiste Grenouille du Parfum de Suskind, mais en effet une question de droits nous a empêché de publier le texte), donc j’ai juste cherché qui l’incarnait le mieux en littérature, et bien sûr Hannibal Lecter a fait son apparition ! Ca m’arrangeait, car c’est un excellent gastronome en plus…

J’ai eu également un vrai coup de cœur pour les illustrations signées Jean François Martin. Est ce que tu le connaissais avant ? Peux tu nous le présenter en quelques mots ?

Jean-François a illustré de nombreux livres pour enfants, j’avais déjà repéré ses illustrations parfois dans Telerama. Il utilise beaucoup la technique des collages. Je ne le connaissais pas, c’est une idée de l’éditrice de nous associer… et une superbe idée parce que j’adore ce qu’il a fait à partir de mes textes ! J’adore son univers si fifties, ce grain de folie qu’il fait souffler dans des environnements si cadrés. Le petit côté ‘Mad Men’, avec le ‘mad’ qui ressort particulièrement bien… C’est aussi à lui que l’on doit la maquette de l’ouvrage -qui change à chaque personnage. C’est deux univers qui cohabitent très bien à mon goût.

En plus, j’adore les livres illustrés : mon tout premier livre, Devine qui vient dîner ce soir chez Librio, l’était déjà par les dessins d’Alice de Miramon, qui avait croqué avec tout plein d’humour des situations culinaires.

Quel est ton méchant favori du livre ?C’est comme me demander de choisir entre mes enfants, en moins mignons ! J’aime beaucoup Long John Silver, le pirate de l’Ile au Trésor de Stevenson, que j’ai découvert en travaillant sur le livre, et puis Ernest de ‘Comment j’ai mangé mon père’, parce que c’est le premier texte que j’ai écrit.

Quelle est ta recette préférée du livre ?

J’ai une tendresse particulière pour le ‘parfait au cassis’ lié à ‘La Disparition’ de Georges Perec. Pas parce que la recette n’a rien de compliqué, mais parce qu’il a fallu l’écrire sans utiliser un seul E !

Bon sang, mais pourquoi n y a t-il pas la recette chouchou de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ?

Ce sacré Voldemort ne mange pas beaucoup, tu ne trouves pas ? Ce sont surtout Harry et sa bande qui croquent allégrement : bieraubeurre et tarte à la mélasse, le dessert préféré d’Harry. Ca tombe bien, c’est aussi le plat préféré de la Reine-de-Coeur.

Merci beaucoup Estérelle.

Les criminels passent à table : 30 recettes vraiment mortelles des méchants de la littérature – Estérelle Payany – Editions Flammarion – 18 €